mercredi 26 novembre 2008

Spectre

La photographie, souvent, m'effraie ... Elle est pour moi intimement liée à la mort, à ce qui a été – c'est au fond une bien ténébreuse affaire, tant pour ce ou celui qui est photographié que pour moi qui regarde. Je crois aux fantômes, au saisissement par ces spectres qui reviennent nous hanter. André Bazin, dans Qu'est-ce que le cinéma ? , rappelle que la photographie, comme art plastique, permet de « satisfaire (...) un besoin fondamental de la psychologie humaine : la défense contre le temps. La mort n'est que la victoire du temps. Fixer artificiellement les apparences charnelles de l'être c'est l'arracher au fleuve de la durée : l'arrimer à la vie ». Photographier n'est autre chose qu'embaumer le sujet que l'on prend, c'est « sauver l'être par l'apparence ». Alors oui, la photo a quelque chose du spectre, en ce qu'elle est apparition effrayante d'un mort ; il n'est pas nécessaire d'ailleurs que le sujet ait réellement disparu – mais la photo sera d'autant plus spectrale si la mort a fait son oeuvre. Le récit 93, « Prénoms dans la chronologie (hommage à Don Mario, mon voisin d'Almagro, récemment décédé) », se clôt sur une photo de Mario, saisi sur le vif, de retour de courses. Ces prénoms dans la chronologie en montrent la finitude, le terme ultime, dans l'intimité d'une complicité affective. C'est aussi cela, la photo, dans ces récits : une pratique banale, au quotidien. On photographie ceux que l'on aime, tout simplement, pour ne pas les oublier, pour dire, au moment où l'on déclenche, qu'ils comptent pour nous ; pour avoir plaisir à les retrouver -ce plaisir fût-il entaché de tristesse, de nostalgie. Le titre du récit 71, « La lutte avec l'ombre », peut aussi bien illustrer cette tension que génère l'acte photographique. L'ennemi, c'est l'ombre, dans tous les sens symboliques qu'on voudra lui accorder. Combat contre l'espace et le temps : Le sujet photographié irradie la lumière qui ensuite est enregistrée (numérisée...). Grâce à la lumière je peux revoir cette lumière : celle d'un astre éloigné dans le temps et dans l'espace. Voilà ce que serait aussi le spectre des Récits, au sens de champ d'action sur le spectateur (mais il faudrait revenir sur l'expérience du photographe lui-même, auteur puis spectateur de sa photographie.) Les photographies irradient longtemps après qu'elles ont été prises, d'une efficace à long terme, dans le temps et dans l'espace.


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