RETICULE
jeudi 8 mai 2014
Lipogramme en E
vendredi 4 mai 2012
"Les droits d'auteur ? On s'en fout ! "
Il faut s'y perdre...Je ne tenterai pas une énumération rabelaisienne pour rendre compte de la richesse d'Ubuweb, qui depuis 1996 consigne les trouvailles sonores, filmiques, textuelles des avant-gardes du XXe siècle. L'initiative est belle et généreuse...Trois petits coups de sonde :
Lacan dans un moment de télévision : "ça parle..."
Mishima fantasme son éventration dans son unique expérience cinématographique, "Yûkoku".
Michaux commente son expérience mescalinienne. Le grain de la voix de Michaux...dans "Images du monde visionnaire".
samedi 28 avril 2012
Le parti pris des fromages
-les fromages frais (chèvre frais, demi-sel, petit-suisse, blanc, aromatisé)
-les fromages fondus (au poivre, aux noix, apéritif, à tartiner)
-les fromages à pâtes pressées non cuites (Cantal, Ossau-Iraty, Morbier, Pyrénées, Saint-Nectaire, Tomme de Savoie, Saint-Paulin, Reblochon, Mimolette)
-les fromages à pâtes pressées cuites (Gruyère, Beaufort, Comté, Emmental)
-les fromages à pâtes molles à croûte fleurie (Chaource, Saint-Marcellin, Camembert, Brie, Neufchâtel, Carré de l'Est, Coulommiers)
-les fromages à pâtes molles à croûte lavée (Maroilles, Langres, Epoisses, Livarot, Mont d'Or, Boulette d'Avesnes, Pont-Lévêque, Munster)
-les fromages à pâtes persillées (Bleu de Gex, Bleu d'Auvergne, Fourme d'Ambert ou de Montbrison, Roquefort, Bleu des Causses)
-Les fromages de chèvre (Valençay, Picodon, Sainte-Maure, Crottin de Chavignol, Selles-sur-Cher, Pouligny -Saint-Pierre, Chabichou)
mardi 17 janvier 2012
Feuil
Je pense parfois à ceci : à supposer que je puisse voir le film de toute ma vie, je sais ce que je ressentirais devant l'étranger que je découvrirais : moi, en un lieu inconnu, accompagné d'inconnus, incapable de me « remettre » : vertige de l'oubli, de la mémoire oublieuse. Traduction laborieuse du tempus fugit, domestication du malaise éprouvé à voir ce que je suis capable d'oublier – ce qui valait alors ne vaut plus rien aujourd'hui. Ce que j'appelle par commodité le passé a été, dentelle fatiguée, empoussiérée, poussière de pousse-hier. Lèpre des équilibres perdus, des combien de fois je ne suis plus moi, croyant être naïf, bancal-brinquebalant, branle-bas de bancal combat. A voir des photos : thanatographie, ensevelissement en deux dimensions, se glacer dans un feuil, dans des entassements de feuils, que l'on manipule comme des cartes à jouir de tous ceux que l'on a été, que l'on a cru être, que nous ne sommes définitivement plus.
Tiens, ce serait drôle : transmuter la vie passée en rectangles de papier glacé, une collection – révélés révélateurs plus justes que nos imparfaits souvenirs.
dimanche 7 mars 2010
De la disparition des Récits photographiques
Anoche hubo una tormenta a disparu, n'en reste que le titre, fantomatique.
Où est son auteur ?
mercredi 29 juillet 2009
Détournement (2)
Je veux parler ici du détournement de notre regard, qui s'opère très discrètement dans le cadre photographique, chaque fois que notre oeil est happé par une tache lumineuse.
Cette surexposition est saturation qui fait violence au spectateur (le récit 250 est d'ailleurs légendé « violence de la répétition, de la saturation, de l'abondance ») ou, à tout le moins, gêne par son clair-obscur. Pourtant le clair-obscur est en lui-même équilibre. Le Récit 28 « Hésitation » joue de cet équilibre du noir et du blanc (et résout de façon heureuse le récit de la jeune femme je sors/je ne sors pas du tunnel) ; de même que la photographie centrale du tryptique, par son contraste incongru de couleur et de texture, équilibre le montage tout entier. La première photo du Récit 42 « Prétexte O » reprend les thèmes du tunnel, de la présence féminine et du point aveugle, tirant notre oeil vers le bas cette fois. Une femme attend en gare, le regard tendu vers la tache lumineuse, comme elle hésitait à sortir du métro dans « Hésitation » (la gare, le métro, il s'agit souvent du voyage, la photographie en fixe un terme).
J'en viens à « Clown (5) », « photographie du Récit 45 sur un écran d'ordinateur ». Deux remarques s'imposent : d'abord, la présence de la tache en lieu et place de tête, présence oblitérante, qui aveugle et fait disparaître par excès de lumière. Le dénominateur commun de ces récits serait donc de détourner notre regard de ce qui est montré au profit d'une tache lumineuse dont le rôle est esthétique (équilibrer la composition). Mais la tache dit aussi : Voyez d'abord ce que je montre, mais voyez aussi ce qu'on ne peut pas voir. Au-delà du visible, il y a le visible intentionnellement détourné, masqué par l'excès. Paradoxale occultation que celle qui fait entrer l'invisible dans le cadre.
Ma deuxième remarque portera sur le dyptique des récits 45 et 107. Le procédé de réinjection de la même photographie, détournée par la tache lumineuse, en modifie complètement la composition, la portée et la réception. Changement de lieu (Machu Picchu, Pérou -extérieur/ Almagro, Buenos Aires-intérieur), de palette des couleurs (du clair à l'obscur). Janus bifrons, clown allègre et clown triste du « sujet » photographique moqué : le Machu Picchu, quand même ! Eh bien non : le petit clown kitsch fait tout aussi bien l'affaire, prisme de dérision brandi avec ostentation entre l'objectif et le « sujet ».
dimanche 21 juin 2009
Détournement (1)
Ces "Récits", donc, tissent mots et images, ce qui en soi est un premier détournement. Car du récit au sens de texte narratif, il y en a bien peu : les légendes des photographies proposent des amorces, des embrayeurs d'imaginaire ("Je vais mal quand je photographie un balai."). A nous d'emboîter le pas, ou non. Le récit textuel est donc détourné au profit d'un autre, le "récit photographique", mise en séquence de photographies et de textes, ce qui complexifie - et enrichit d'autant - le dispositif. Car la circulation des sens s'opère non seulement entre les mots, mais aussi entre ces mots et les photographies. "Le Lézard et l'oiseau" annonce une fable que je ne lirai pas, dont les protagonistes sont en place, prêts à me jouer un bon tour. Texte et image ne sont pas ici mis en concurrence, leur charge culturelle (le titre évoque la Fontaine, une certaine morale du Grand siècle, etc. ; la photographie renvoie à une certaine pratique culturelle, la plongée et le cadrage à un certain regard, etc.) s'additionne dans un au-delà du mot et de l'image qui finit sa course chez nous, lecteur-spectateur.
samedi 13 juin 2009
D'un cadre l'autre
Ce récit condense plusieurs des thèmes chers au photographe. Il met en scène, au-delà de l'anecdote personnelle de la convalescence, les dispositifs optiques du miroir, de l'oeil sous ses multiples avatars, de la tache, du point de fuite surexposé.
La tache lumineuse se réfléchit sur le miroir pour s'imposer sur l'oeil (je ne m'attarde pas sur l'évidence de la mise en scène de l'acte photographique). Ce qui m'attire, ici, c'est le découpage géométrique fait par la lumière, qui délimite un champ opératoire : voici l'organe qui opère, l'oeil qui compute la réalité visible. La maladie virale n'apparaît plus que dans ses séquelles, sur un visage blafard, dans la tuméfaction de l'oeil illuminé, comme si l'infection virale avait gagné l'oeil.
Le corps est pris dans le faisceau des rais lumineux qui émanent du point de fuite surexposé, comme dans le récit "L'irrésistible réduction du cadre " :
Si bien que l'oeil, le nôtre, hésite : le carré blanc happe la regard, mais les traits des visages nous attirent également. Cette irradiation gêne autant qu'elle équilibre la composition. Elle gêne par son intensité, elle inquiète parce qu'elle est dos au sujet, qui fait écran. On retrouve cette présence du cadre dans le cadre à plusieurs reprises : Un oiseau, Diaphragme hexagonal...
La photographie fait manchon. Elle cadre une première fois en délimitant champ et hors-champ ; elle cadre une dernière fois en imposant à l'oeil spectateur une limite parfois agressive (la surexposition) et réductrice (le cadre dans le cadre). C'est sans doute ce que signifie le titre du récit " L'irrésistible réduction du cadre ", qui désigne un mode opératoire du photographe ; et qu'éclaire encore la citation d'Ecuador de Michaux qui donne son titre à un autre récit : "Le passage est pris dans un manchon pensant". Le spectateur n'a guère le choix : s'il regarde, son oeil est pris, happé dans cet espace prédateur d'un cadre à l'autre. Ce n'est pas le moindre intérêt de cette oeuvre, d'ailleurs, que de mettre en oeuvre cette double prédation : celle du photographe envers son sujet, et envers son spectateur.
S/T
Kôbô Abé, Rendez-vous secret
mercredi 3 juin 2009
Ente
Ordre, ourdir, tisser, remettre sur le métier : mêler les fils des deux ordres, faire naître un motif visuel comme celui d'une tapisserie. Il faut interroger la coprésence de ces deux ordres et prendre la mesure de ce qui naît pour le spectateur : du sens en plus, la résultante de ce tissage ; une métaphore (figure qui procède par transfert de sens, j'ai déjà évoqué la circulation des sens entre photos et textes, tel un flux d'informations.) Sens au carré.
Notes pour L'irrésistible réduction du cadre
jeu sur les cadres emboîtés, depuis le cadre de la photo jusqu'au cadre dessiné par les installations portuaires, puis la mise en scène (la fabrication des cadres) du photographe photographiant (donc cadrant) dirait-on l'armoire métallique.Curieux : un expert ? Un badaud ?
admirable photographie, scène intimiste (repos, maté, intérieur) ; un couple âgé, un intérieur humble, l'éblouissement de la fenêtre (cadre trop lumineux, surexposé, mais pourtant retenu par le photographe, trop-plein de lumière qui gêne, ces personnages sont dans la boîte (noire).
Troisième déclinaison de la perspective, les cadres dessinés par les plaques funéraires, le couloir, en point de fuite un vivant et, au centre, l'éblouissement (mur blanc au fond, néon en haut, reflet en bas).
Le titre : on ne peut échapper à la réduction (coupe, amputation), le cadre coupe, décapite, et/ou le cadre lui-même est victime d'une réduction (ce qui est d'ailleurs une réalité optique).
Miniaturisation. Miniare, écrire au minium, (analogie avec l'écriture au sel d'argent dans la photo argentique, ici avec les bits de la photo numérique). La loupe et le verre noir (où l'on voit le portrait inversé) pour vérifier la miniature.
Le monde en miniature. Pour quel parchemin ?
« Irrésistible », i.e. ce à quoi on ne peut résister tant l'attraction est forte.Le charme de la miniature. Small is beautiful.
Fantasme de la boîte noire, là où et là quand l'image se fixe ; y être, en être, le rejouer encore et encore, dans la compulsion du déclenchement de l'appareil.
Dans les trois photos, la lumière vient du fond, de là-bas, du fond de la photo, dans l'inatteignable hors-champ, l'au-delà de la photo -manière de toucher le fond, ce qui se dérobe, d'essayer toutes les postures aussi (le photographe de profil, le couple de face, le visiteur du cimetière de dos, et le spectateur/photographe/voyeur - nous qui regardons. Manière d'occuper l 'espace selon plusieurs variantes.)
mercredi 15 avril 2009
Work in progress
jeudi 26 mars 2009
double vite-rage
Entre elle et lui, un double prisme minéral et coupant. Le sujet n'est pas la femme, c'est le verre qui la décapite, la laisse dans un flou d'où émerge sa pose butée (son buste posé), captée à son tour par l'appareil photographique. Verre qui dirait-on la radiographie d'irisations verdâtres. Une fois tranchée, la cause est entendue. L'objectif fait une bascule, pique du nez pour un voyage au fond du verre. Rosace en épiphanie. Chant du verre, rage des mots – Indonesia sonne comme un prénom de femme.
mercredi 26 novembre 2008
Spectre
La photographie, souvent, m'effraie ... Elle est pour moi intimement liée à la mort, à ce qui a été – c'est au fond une bien ténébreuse affaire, tant pour ce ou celui qui est photographié que pour moi qui regarde. Je crois aux fantômes, au saisissement par ces spectres qui reviennent nous hanter. André Bazin, dans Qu'est-ce que le cinéma ? , rappelle que la photographie, comme art plastique, permet de « satisfaire (...) un besoin fondamental de la psychologie humaine : la défense contre le temps. La mort n'est que la victoire du temps. Fixer artificiellement les apparences charnelles de l'être c'est l'arracher au fleuve de la durée : l'arrimer à la vie ». Photographier n'est autre chose qu'embaumer le sujet que l'on prend, c'est « sauver l'être par l'apparence ». Alors oui, la photo a quelque chose du spectre, en ce qu'elle est apparition effrayante d'un mort ; il n'est pas nécessaire d'ailleurs que le sujet ait réellement disparu – mais la photo sera d'autant plus spectrale si la mort a fait son oeuvre. Le récit 93, « Prénoms dans la chronologie (hommage à Don Mario, mon voisin d'Almagro, récemment décédé) », se clôt sur une photo de Mario, saisi sur le vif, de retour de courses. Ces prénoms dans la chronologie en montrent la finitude, le terme ultime, dans l'intimité d'une complicité affective. C'est aussi cela, la photo, dans ces récits : une pratique banale, au quotidien. On photographie ceux que l'on aime, tout simplement, pour ne pas les oublier, pour dire, au moment où l'on déclenche, qu'ils comptent pour nous ; pour avoir plaisir à les retrouver -ce plaisir fût-il entaché de tristesse, de nostalgie. Le titre du récit 71, « La lutte avec l'ombre », peut aussi bien illustrer cette tension que génère l'acte photographique. L'ennemi, c'est l'ombre, dans tous les sens symboliques qu'on voudra lui accorder. Combat contre l'espace et le temps : Le sujet photographié irradie la lumière qui ensuite est enregistrée (numérisée...). Grâce à la lumière je peux revoir cette lumière : celle d'un astre éloigné dans le temps et dans l'espace. Voilà ce que serait aussi le spectre des Récits, au sens de champ d'action sur le spectateur (mais il faudrait revenir sur l'expérience du photographe lui-même, auteur puis spectateur de sa photographie.) Les photographies irradient longtemps après qu'elles ont été prises, d'une efficace à long terme, dans le temps et dans l'espace.
jeudi 20 novembre 2008
Ne bougez plus !
D'abord : Juxtaposition de deux sujets fixés chronologiquement : récit 19, mouvement au crépuscule, 1. Le chien, encore, au crépuscule, quand le jour devient nuit, ou l'inverse, mais cet état intermédiaire, fuyant, visible à l'oeil nu. Fixer le mouvement, garder la trace éphémère du sillon laissé dans l'eau par l'animal. Une « marque déposée », dit encore Denis Roche de la photographie. Les hommes au bord du lac Titica dans le récit 89 mouvement au crépuscule 2. A voir ces deux récits l'un après l'autre, on réalise que c'est un mouvement de va-et-vient (de gauche à droite pour le chien, de droite à gauche puis de gauche à droite pour les hommes). Le mouvement est fixé puis recréé (je repense au Bartlebooth de Perec !) comme un cinématographe primitif que moi, spectateur, je me rejouerais.
Puis : la juxtaposition, comme un clair-obscur, du statique et du fixe.
Dans le récit 38 Murga (ou « carnaval ») le batracien n'est pas à la fête. Une quasi planche anatomique, un écorché, une pul(sa)tion de mort qui fait retomber la gigue (de grenouille, des danseurs aussi bien). C'est surtout lui que je vois. Le mouvement est mis à la question.
Le récit 19 fait de nous le chien qui ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve...ne nous reste que la trace nostalgique d'un passage.
mardi 18 novembre 2008
(D)étonnant
Le récit 44, « Grenade » , me plaît beaucoup. Parce que je me rends compte que je me suis fait avoir. Ce photographe est un artific(i)e(r).
lundi 17 novembre 2008
La pièce manquante argentine
samedi 15 novembre 2008
Le miroir de sorcière
Le récit 99 est emblématique du thème de la vitre-écran, de la vitre-miroir. J'en aime particulièrement la troisième photographie. Il m'évoque un « miroir de sorcière », de ceux que l'on trouvait dans la peinture flamande. C'est ici le hublot fendillé d'une porte de train où le paysage s'inscrit davantage comme un reflet que par transparence. Cadrage serré et contre-jour lui font un cadre noir. On en devine la convexité, on en voit le grain : le plastique fatigué par la lumière, l'auréole terne, l'impact du projectile qui l'a fendillé, les rayures laissées par les voyageurs, toutes traces laissées sur cette drôle de membrane entre le dedans et le dehors, entre l'immobile voyageur qui regarde et le paysage qui (se) défile ; sur cet espace de désir par où l'oeil toujours s'en va ; oeil-hublot, hublot-objectif qui fait du wagon une boîte noire. La photographie ne cesse d'être mise en scène, ici des poupées gigognes (l'oeil dans l'appareil dans le wagon) ; « ce qu'on photographie, c'est le fait qu'on prend une photo » (Denis Roche).
Mais ce n'est là que la dernière photographie. La première me fait penser à une image de Shoah (le regard perdu de l'homme, le train...) La seconde, telle une histoire naturelle, me fait dire que l'insecte vaut tout autant que la paysage : la vitre s'opacifie par la courte profondeur de champ et devient lamelle où l'on observe.
Le rythme des trois photographies repose sur l'horizontal, le vertical et le rond ; l'oblique franche de la première photo s'abaisse dans la deuxième (le rail) et s'assagit dans le cadre noir du miroir. Le paysage gîte dans les deux premières photos (il les habite à tribord puis à bâbord), c'est un navire-wagon, tout de mouvement, pour se geler tel le tain d'un miroir.
vendredi 14 novembre 2008
Médusé
Il me semble qu'un avatar de l'oeil est mis en scène dans ces récits. Le récit 102 est médusant : « L'Oeil inimaginaire » pourrait être celui d'une morte (« inimaginaire » : bien réel, je n'ai pas rêvé ; mais aussi « inimaginable », qui m'échappe encore et toujours) ; les paupières entrouvertes ne laissent apparaître que le reflet de la lumière des vivants. Moins dramatiquement, la dormeuse est surprise dans son sommeil, ou au réveil. Elle me rappelle ces vers de Paul Valéry : « ...malgré l'âme absente, occupée aux enfers, / Ta forme au ventre pur qu'un bras fluide drape, / Veille ; ta forme veille, et mes yeux sont ouverts. » (« La Dormeuse », in Charmes). Comme si, à l'instar du vers poétique, la photographie opérait comme un charme, capable, qui sait, de guetter à l'entrée des enfers, de capter dans l'oeil entrouvert quelque chose de l'insondable mystère du sommeil, de cet autre de l'autre quand il dort. Dans le « Prétexte O » du récit 42, le rond court de photo en photo, comme un symbole fondamental à l'oeuvre dans la voûte d'une gare, dans la glaise, le métal, l'eau, le verre, la vannerie. Le photographe est le déchiffreur des symboles, l'objectif est son médium entre le monde sensible et le monde intelligible. Le cercle est aussi la roue dans le cimetière chinois de la photo 10 : roue à huit rayons, huit directions de l'espace, symbole du monde (le moyeu en est le centre immobile, le périmètre en est le rayonnement). C'est aussi le rond du verre, prisme supplémentaire de la photo 6 du récit 42 ; ou celui des « Deux centres » du récit 4, autre centre immobile autour de quoi tourne le monde du photographe. Nouvelle cosmogonie qui tient dans une main, celle qui agrippe fermement le verre comme s'il était le seul axe fiable, celle qui recèle un coeur, histoire d'avoir le coeur sur la main dans la photo 5 du récit 24, « Méditations indépendantes ».
Le rond est aussi réticule, par où l'on vise : le chien en ligne de mire (photo 8, récit 42).
jeudi 13 novembre 2008
Histoires de l'oeil
mercredi 12 novembre 2008
Le photographe au miroir
Mais je voulais dire, bien sûr, le peintre au miroir. Je voudrais m’intéresser à quelques récits qui questionnent le rapport du photographe à son médium. Les légendes des photos mettent en évidence l’acte même de photographier, par l’évocation d’un vocabulaire technique : récit 21, « Divisions » ; récit 5, « autoportrait » ; récit 26, « portraits d’enfant dans la chronologie » ; récit 31, « Rends-moi mon appareil » ; récit 48 « Anamorphose » ; ou bien encore récit 98, « pluie flou légèrement bougé ». Cette première mise à distance, outre qu’elle insiste sur l’ écart entre le sujet et sa représentation photographique, se double d’une autre : passer par le « récit », comme on l’a vu plus haut, c’est faire un détour par la fiction. Cette métaphorisation est celle d’un non-dupe, manière de dire : je n’y crois pas plus que cela...
mardi 11 novembre 2008
Stalker
Sa vie lui échappe, mais il n’échappe à sa vie. La photo est prise en contre-plongée, on devine le photographe dans le hors-champ, ses pieds coupés qui suivent les traces, ces pieds qui deviennent les nôtres, nous forçant à nous identifier à cet enquêteur . Dans la fiction, voici la preuve matérielle que l’enquêteur existe bel et bien. Ce récit 2 est excitant. Nous sommes en plein roman policier. Nouveau « Nocturne indien » où le traqueur et le traqué sont la seule même personne ? Le sol rouille est détrempé, les traces de pas fixées avant disparition. Traces qui dessinent une géographie de la fuite, où la texture du sol s’oxyde, entre le lisse et le grumeleux. Je pense au « stalker », le guide de la Zone dans le film éponyme d’Andreï Tarkosvki (remarquable entre autres par l’incroyable densité des sols filmés ). Oui, il y a une beauté des textures – liées ici à l’effacement, à la disparition, à la quête de sens. Voyez le beau récit 78, au titre poétique : « Notes sur la boxe cambodgienne après une pluie de mousson » : texte en partie perdu, car l’eau y monte comme la mer reprend ses droits. Encre contre mer, photo contre oubli, solide contre liquide. La mousson transfigure un carnet de notes en une marine énigmatique, lisible partiellement et entièrement visible, aux allures d’un test de Rorschach.
lundi 10 novembre 2008
Pseudoinyme
Pour le tryptique « Seudedónimo » des Récits 35, 88 et 101 : mot-valise de « dedo », le doigt, et « seudónimo », le pseudonyme : quelque chose comme le pseudoinyme. Les doigts parlent en lieu et place du photographe ; les doigts n’en sont pas. Dans le récit 35, l’ombre de la main droite est déployée sur une flaque, et le photographe n’en capte que le reflet, ou l’ombre dans la deuxième photo. Geste pour qui ? Pour lui-même, clin d’oeil enfantin, plus gravement : suis-je là, est-ce bien moi qui fais signe ? Cette ombre, ce reflet, sont-ils de moi ? Geste archaïque (le récit 88 met en scène une main tenant un os de dinosaure, une patte de ñandu ) pour conjurer magiquement ce qui pourrait me voler mon identité (et l’on sait la croyance née en même temps que la photographie- voleuse d’âme) ; geste inaugural, qui me pose là ; geste fixé sur la photo, car on ne sait jamais (il en est qui perdirent leur ombre à la suite d’un mauvais pacte). La dernière photo montre un main saisissant l'eau de la douche en une inhabituelle contorsion ; corps de femme à la toilette, mais partiel, morcelé.
Le doigt désigne une réalité dans l'espace, le pseudonyme désigne quelqu'un d'un nom qui n'est pas l'original. L'emboîtement des mots permet de dire que le doigt désigne quelqu'un d'un nom qui n'est pas l'original, et que le pseudonyme désigne une réalité dans l'espace. Cette équivalence que permet le mot-valise est à l'oeuvre dans l'espace photographique qu'elle légende : il y aurait là un tour de passe-passe, une identité masquée. On peut alors gloser sur la portée de l'acte photographique, dont l'un des effets serait de masquer cela même qu'elle montre. Cette trahison trouve une illustration quasi comique dans ce récit 88, où l'animal préhistorique répond à l'humain moderne, homo economicus contre dinosaure – et comme souvent, l'humour tient autant au plaisir ludique du mot-valise qu' à la vue plongeante commune aux quatre photos.
Le récit 101 est proprement fabuleux : une main tendue vers l’ombre, aux doigts prêts à irradier la lumière ; une main en gloire qui fait s’illuminer la cathédrale de Chartres en un geste démiurgique ! Le « lux fuit » m’amuse beaucoup.
A propos d'un autre jeu de mot : la légende « Nouevau » du récit 41. Déplaçons le « e » et nous obtenons « nouveau », ce que signifie l'adjectif espagnol « nuevo », à lire « nouévo ». Les deux langues se doublent et se nouent dans l'homophonie, comme la graphie le suggère. Qu'attend la femme du récit 41 ? Elle regarde intensément les oiseaux. La chute d'une fiente ? Quel dénouement ?