mercredi 29 juillet 2009

Détournement (2)


Je veux parler ici du détournement de notre regard, qui s'opère très discrètement dans le cadre photographique, chaque fois que notre oeil est happé par une tache lumineuse.



Cette surexposition est saturation qui fait violence au spectateur (le récit 250 est d'ailleurs légendé « violence de la répétition, de la saturation, de l'abondance ») ou, à tout le moins, gêne par son clair-obscur. Pourtant le clair-obscur est en lui-même équilibre. Le Récit 28 « Hésitation » joue de cet équilibre du noir et du blanc (et résout de façon heureuse le récit de la jeune femme je sors/je ne sors pas du tunnel) ; de même que la photographie centrale du tryptique, par son contraste incongru de couleur et de texture, équilibre le montage tout entier. La première photo du Récit 42 « Prétexte O » reprend les thèmes du tunnel, de la présence féminine et du point aveugle, tirant notre oeil vers le bas cette fois. Une femme attend en gare, le regard tendu vers la tache lumineuse, comme elle hésitait à sortir du métro dans « Hésitation » (la gare, le métro, il s'agit souvent du voyage, la photographie en fixe un terme).



J'en viens à « Clown (5) », « photographie du Récit 45 sur un écran d'ordinateur ». Deux remarques s'imposent : d'abord, la présence de la tache en lieu et place de tête, présence oblitérante, qui aveugle et fait disparaître par excès de lumière. Le dénominateur commun de ces récits serait donc de détourner notre regard de ce qui est montré au profit d'une tache lumineuse dont le rôle est esthétique (équilibrer la composition). Mais la tache dit aussi : Voyez d'abord ce que je montre, mais voyez aussi ce qu'on ne peut pas voir. Au-delà du visible, il y a le visible intentionnellement détourné, masqué par l'excès. Paradoxale occultation que celle qui fait entrer l'invisible dans le cadre.

Ma deuxième remarque portera sur le dyptique des récits 45 et 107. Le procédé de réinjection de la même photographie, détournée par la tache lumineuse, en modifie complètement la composition, la portée et la réception. Changement de lieu (Machu Picchu, Pérou -extérieur/ Almagro, Buenos Aires-intérieur), de palette des couleurs (du clair à l'obscur). Janus bifrons, clown allègre et clown triste du « sujet » photographique moqué : le Machu Picchu, quand même ! Eh bien non : le petit clown kitsch fait tout aussi bien l'affaire, prisme de dérision brandi avec ostentation entre l'objectif et le « sujet ».


dimanche 21 juin 2009

Détournement (1)

Haine ("Haine de la photographie"), poison ("Fumer, photographier, c'est vouloir l’Être. C'est s'empoisonner.") ou "danger permanent" (trois récits : 1, 2 et 3) : la photographie dans Anoche... est toujours une situation d'urgence et, comme telle, requiert du photographe qu'il y échappe, fût-ce temporairement. Une manière de paix dans les brisements. J'essaie de comprendre comment il s'y prend pour faire avec la photographie et l'écriture.

Ces "Récits", donc, tissent mots et images, ce qui en soi est un premier détournement. Car du récit au sens de texte narratif, il y en a bien peu : les légendes des photographies proposent des amorces, des embrayeurs d'imaginaire ("Je vais mal quand je photographie un balai."). A nous d'emboîter le pas, ou non. Le récit textuel est donc détourné au profit d'un autre, le "récit photographique", mise en séquence de photographies et de textes, ce qui complexifie - et enrichit d'autant - le dispositif. Car la circulation des sens s'opère non seulement entre les mots, mais aussi entre ces mots et les photographies. "Le Lézard et l'oiseau" annonce une fable que je ne lirai pas, dont les protagonistes sont en place, prêts à me jouer un bon tour. Texte et image ne sont pas ici mis en concurrence, leur charge culturelle (le titre évoque la Fontaine, une certaine morale du Grand siècle, etc. ; la photographie renvoie à une certaine pratique culturelle, la plongée et le cadrage à un certain regard, etc.) s'additionne dans un au-delà du mot et de l'image qui finit sa course chez nous, lecteur-spectateur.

samedi 13 juin 2009

D'un cadre l'autre


Ce récit condense plusieurs des thèmes chers au photographe. Il met en scène, au-delà de l'anecdote personnelle de la convalescence, les dispositifs optiques du miroir, de l'oeil sous ses multiples avatars, de la tache, du point de fuite surexposé.
La tache lumineuse se réfléchit sur le miroir pour s'imposer sur l'oeil (je ne m'attarde pas sur l'évidence de la mise en scène de l'acte photographique). Ce qui m'attire, ici, c'est le découpage géométrique fait par la lumière, qui délimite un champ opératoire : voici l'organe qui opère, l'oeil qui compute la réalité visible. La maladie virale n'apparaît plus que dans ses séquelles, sur un visage blafard, dans la tuméfaction de l'oeil illuminé, comme si l'infection virale avait gagné l'oeil.
Le corps est pris dans le faisceau des rais lumineux qui émanent du point de fuite surexposé, comme dans le récit "L'irrésistible réduction du cadre " :

Si bien que l'oeil, le nôtre, hésite : le carré blanc happe la regard, mais les traits des visages nous attirent également. Cette irradiation gêne autant qu'elle équilibre la composition. Elle gêne par son intensité, elle inquiète parce qu'elle est dos au sujet, qui fait écran. On retrouve cette présence du cadre dans le cadre à plusieurs reprises : Un oiseau, Diaphragme hexagonal...
La photographie fait manchon. Elle cadre une première fois en délimitant champ et hors-champ ; elle cadre une dernière fois en imposant à l'oeil spectateur une limite parfois agressive (la surexposition) et réductrice (le cadre dans le cadre). C'est sans doute ce que signifie le titre du récit " L'irrésistible réduction du cadre ", qui désigne un mode opératoire du photographe ; et qu'éclaire encore la citation d'Ecuador de Michaux qui donne son titre à un autre récit : "Le passage est pris dans un manchon pensant". Le spectateur n'a guère le choix : s'il regarde, son oeil est pris, happé dans cet espace prédateur d'un cadre à l'autre. Ce n'est pas le moindre intérêt de cette oeuvre, d'ailleurs, que de mettre en oeuvre cette double prédation : celle du photographe envers son sujet, et envers son spectateur.

S/T

"Il faut admettre que j'ai accepté un drôle de travail. Tant que je me poursuis moi-même, ce n'est que mon dos que je vois tout le temps. Mais, ce qui me manque, c'est ce qui se trouve au-delà de mon dos. "

Kôbô Abé, Rendez-vous secret

mercredi 3 juin 2009

Ente

Ces Récits photographiques naviguent entre reportage et écriture intime, ils relèvent du tissage intime dans une double obédience au littéraire et au photographique. L'originalité de cette narration tient d'abord au déséquilibre texte/image, qui donne la préférence à l'image, entée, comme on le dit en horticulture, par un greffon littéral : le texte serait une ente, glissée dans une enture ; hantée par l'imaginaire scripturaire du photographe, et le texte ou son écriture est une hantise.
Ordre, ourdir, tisser, remettre sur le métier : mêler les fils des deux ordres, faire naître un motif visuel comme celui d'une tapisserie. Il faut interroger la coprésence de ces deux ordres et prendre la mesure de ce qui naît pour le spectateur : du sens en plus, la résultante de ce tissage ; une métaphore (figure qui procède par transfert de sens, j'ai déjà évoqué la circulation des sens entre photos et textes, tel un flux d'informations.) Sens au carré.

Notes pour L'irrésistible réduction du cadre

jeu sur les cadres emboîtés, depuis le cadre de la photo jusqu'au cadre dessiné par les installations portuaires, puis la mise en scène (la fabrication des cadres) du photographe photographiant (donc cadrant) dirait-on l'armoire métallique.Curieux : un expert ? Un badaud ?


admirable photographie, scène intimiste (repos, maté, intérieur) ; un couple âgé, un intérieur humble, l'éblouissement de la fenêtre (cadre trop lumineux, surexposé, mais pourtant retenu par le photographe, trop-plein de lumière qui gêne, ces personnages sont dans la boîte (noire).


Troisième déclinaison de la perspective, les cadres dessinés par les plaques funéraires, le couloir, en point de fuite un vivant et, au centre, l'éblouissement (mur blanc au fond, néon en haut, reflet en bas).


Le titre : on ne peut échapper à la réduction (coupe, amputation), le cadre coupe, décapite, et/ou le cadre lui-même est victime d'une réduction (ce qui est d'ailleurs une réalité optique).

Miniaturisation. Miniare, écrire au minium, (analogie avec l'écriture au sel d'argent dans la photo argentique, ici avec les bits de la photo numérique). La loupe et le verre noir (où l'on voit le portrait inversé) pour vérifier la miniature.

Le monde en miniature. Pour quel parchemin ?

« Irrésistible », i.e. ce à quoi on ne peut résister tant l'attraction est forte.Le charme de la miniature. Small is beautiful.

Fantasme de la boîte noire, là où et là quand l'image se fixe ; y être, en être, le rejouer encore et encore, dans la compulsion du déclenchement de l'appareil.



Dans les trois photos, la lumière vient du fond, de là-bas, du fond de la photo, dans l'inatteignable hors-champ, l'au-delà de la photo -manière de toucher le fond, ce qui se dérobe, d'essayer toutes les postures aussi (le photographe de profil, le couple de face, le visiteur du cimetière de dos, et le spectateur/photographe/voyeur - nous qui regardons. Manière d'occuper l 'espace selon plusieurs variantes.)



mercredi 15 avril 2009

Work in progress

Les "récits photographiques" sont en constant mouvement : ma lecture reflète cette labilité, car les numéros de récits auxquels je renvoie peuvent ne pas correspondre, malgré les mises à jour. Le lecteur obligeant corrigera de lui-même ces déphasages.

jeudi 26 mars 2009

double vite-rage



Entre elle et lui, un double prisme minéral et coupant. Le sujet n'est pas la femme, c'est le verre qui la décapite, la laisse dans un flou d'où émerge sa pose butée (son buste posé), captée à son tour par l'appareil photographique. Verre qui dirait-on la radiographie d'irisations verdâtres. Une fois tranchée, la cause est entendue. L'objectif fait une bascule, pique du nez pour un voyage au fond du verre. Rosace en épiphanie. Chant du verre, rage des mots – Indonesia sonne comme un prénom de femme.