lundi 17 novembre 2008

La pièce manquante argentine

Incomplétude mais aussi respiration, dans ce récit 81 ; ce qui évite la saturation visuelle en laissant à l’oeil une issue pour s’échapper. Le patchwork. L’Argentine était-elle la pièce manquante d’un puzzle ? Le Récit 90 sur « l’unité, ... » donne une piste : l'un est ce qui manque dans le puzzle, « l'unité, mais à un autre niveau, plus émouvant pour moi ». Légende énigmatique, où l'on devra se débrouiller avec un canard, une tige verte, une marine encadrée de troncs d'arbre, ces deux dernières prises chacune sur une île... Inventaire à la Prévert, qui cache une unité, le Diable saura de quoi il retourne. De l'animal, du végétal, du minéral : et l'oeil qui voit, qui cadre la verticalité du volatile, de la tige verte médiane, des troncs esquissant un rond, encore ; des arbustes au second plan. Trois lieux d'Amérique latine. L'unité serait bien un fantasme ; je soupçonne le photographe d'être un faiseur de puzzles (et bien sûr je me souviens de La Vie mode d'emploi de Perec. Je ne résiste pas au plaisir de citer un court extrait du chapitre « XXVI, Bartlebooth, 1 » : Pendant dix ans, de 1925 à 1935, Bartlebooth s'initierait à l'art de l'aquarelle. Pendant vingt, de 1935 à 1955, il parcourrait le monde, peignant, à raison d'une aquarelle tous les quinze jours, cinq cents marines de même format (65 X 50, ou raisin) représentant des ports de mer. Chaque fois qu'une de ces marines serait achevée, elle serait envoyée à un artisan spécialisé (Gaspard Winckler) qui la collerait sur une mince plaque de bois et la découperait en un puzzle de sept cent cinquante pièces. Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, Bartlebooth, revenu en France, reconstituerait, dans l'ordre, les puzzles ainsi préparés, à raison, de nouveau, d 'un puzzle tous les quinze jours. A mesure que les puzzles seraient réassemblés, les marines seraient « retexturées » de manière à ce qu'on puisse les décoller de leur support, transportées à l'endroit même où – vingt ans auparavant – elles avaient été peintes, et plongées dans une solution détersive d'où ne ressortirait qu'une feuille de papier Whatman, intacte et vierge. ») Le lecteur aura de lui-même fait les rapprochements qui s'imposent entre les deux entreprises...Il y a du Perec chez ce photographe, je n'en démords pas (et compléte ainsi le paragraphe « Les letttres dans la photo »). Tour à tour Bartlebooth et Winckler. Enquêteur et proie qui se dédoublent ou se confondent (je parlais plus haut du stalker). Le retour du même, mais autrement.

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